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05 Dec

Henri KRATZ - un membre oublié du syndicat des propriétaires - par Dominique Morel

Publié par Association des Propriétaires de Mers-les-Bains

Un membre oublié du Syndicat des propriétaires de Mers, Henri Kratz

Un article du journal La Petite Presse daté du 27 septembre 1905 trace un portrait très élogieux, au physique comme au moral, de " l’ingénieur et homme du monde ", Henri Kratz qui fit partie du Syndicat des propriétaires de Mers, ancêtre de l'association APRIM.

" D’une taille svelte, élancée et bien prise, dont la pratique des exercices physiques a éloigné l’embonpoint, M. H. O. Kratz donne à première vue, l’impression de la force et de la vigueur. Sa stature dépasse la moyenne et certes elle en impose ; la distinction et l’allure dégagée de cette silhouette la rendent éminemment sympathique. D’ailleurs, elle est encore dans la fleur de l’âge.
Le visage terminé par une courte barbe blonde, bien épointée, est éclairée d’un regard vif, pénétrant où pétille l’intelligence ; il y a dans cette physionomie très curieuse et fort agréable à décrire, deux hommes : l’ingénieur et l’homme du monde " … 
" Signe particulier : propriétaire d’une imposante Voiture automobile 24 chevaux qu’il conduit en véritable sportsman "[1] . 
 
Qui était donc Henri Kratz qui fut, de 1897 à 1940, l’heureux propriétaire de la villa Les Tourelles ?

Henri Kratz, dit Kratz-Boussac
 
D’origine allemande, Henri Guillaume Othon Kratz (1859-1940) fonde à Paris en 1883 la Société Les Inventions nouvelles. La même année, il épouse Marie Boussac (1863 - 1884). Il adjoint à son patronyme le nom de sa femme, vraisemblablement pour renforcer son identité française et se prémunir contre toute critique portant sur sa nationalité d’origine. Ses efforts d’intégration sont d’ailleurs reconnus puisqu’il est naturalisé français, par décret en date du 13 juin 1900.
 
Les établissements Kratz-Boussac[2]
Henri Kratz se donne comme objectif "la mise en valeur et la propagande des inventions nouvelles, utiles, agréables et pratiques". Sous sa direction, les établissements Kratz-Boussac éditent et diffusent des objets variés : objets de voyage et de bureau, articles de toilette, ustensiles de cuisine ou de table… Les jeux de société, les jeux scientifiques et les jeux de tir qui sont diffusés sous la marque "KB" ou "Euréka" représentent cependant la majeure partie des produits commercialisés par les établissements Kratz-Boussac.

À l’origine, la production s’effectue à Eu où sont installés les ateliers de construction, de nickelage et de décolletage. Une photographie prise vers 1900 montre Kratz-Boussac posant au milieu de ses ouvriers qui portent fièrement les produits phares de la Société. 

En 1904, désireux de disposer de locaux plus vastes, Kratz-Boussac déménage son usine sur des terrains situés à Pont-Saint-Pierre et à Douville-sur-Andelle, dans le département de l’Eure. En revanche, les bureaux qui gèrent les commandes et les expéditions restent localisés à Paris, 14, rue Martel, dans le dixième arrondissement. La Société Les Inventions nouvelles accroît et diversifie ses activités entre les deux guerres. Les produits de la marque Eureka : Diabolo, Tir aux pigeons, Voitures à pédales, connaissent un grand succès.
Henri Kratz décède le 31 mai 1940. Son gendre Albert Guérin lui succède à la tête de l’entreprise.  Après 1945, les pénuries de matériel obligent la Société à recentrer ses activités sur les objets en bois. Les changements de goût et la désaffection de l’opinion pour les jouets à tendance guerrière mettent à mal la santé économique de la firme. Après avoir été reprise en location gérance par une filiale des Charbonnages de France, la Société les Inventions Nouvelles Jouets Euréka est rachetée par la Société Normandy-Sport implantée à Tinchebray dans l’Orne. Elle cesse définitivement ses activités en 1983.

 
Kratz-Boussac, victime d’une campagne de presse haineuse, doit démissionner de son poste de maire[3]
Élu maire de Douville-sur-Andelle en 1908, Kratz-Boussac est facilement réélu en 1910 et 1912. Mais la guerre éclate en 1914 et rend inconfortable la situation des Allemands ou des Français d’origine allemande qui vivent en France. La presse nationaliste dénonce les espions qui risquent d’annihiler les efforts des combattants. L’écrivain et journaliste Léon Daudet range Kratz-Boussac parmi les "embochés" ou agents de l’ennemi. Il s’étonne qu’un "sujet allemand naturalisé ou non conserve, actuellement une fonction publique en France et y exerce une magistrature"[4]. Dans le canton de Fleury-sur-Andelle, une pétition signée par l’ensemble des maires, collègues et voisins de Kratz exige son renvoi. Vaincu par ce "lynchage médiatique", Kratz envoie le 16 mars 1916 au ministre de l’intérieur sa lettre de démission. Un événement dramatique assombrit encore un peu plus la vie de Kratz. Son fils Maxime, qui s’est volontairement engagé à l’âge de dix-sept ans pour prouver l’attachement de sa famille à la France, est tué en avril 1917. Comme pour effacer le souvenir de ces années marquées du sceau de l’infâmie, la municipalité de Douville, restée fidèle à son ancien maire proclame, le 10 mars 1934, Henri Kratz "bienfaiteur de la commune". Une rue de Douville-sur-Andelle porte désormais son nom.

  
Kratz-Boussac à Mers-les-Bains

La jeune fille qui pose dans la voiture serait Amélie-Jeanne Kratz [5]

La Petite Presse nous apprend que Kratz-Boussac "prend ses quartiers d’été, chaque année en sa coquette villa Les Tourelles…" qu’il a acquise en 1897[6]. Mme Kratz [7] fait les honneurs de sa résidence tous les mardis "avec une grâce charmante". Kratz-Boussac est très investi dans la vie locale : il est un des organisateurs de la Fête annuelle des Baigneurs, fait partie du "Syndicat des Propriétaires de Mers" et de la "Société française de sauvetage. Section des villes d’Eu, du Tréport et de Mers".
À cette occasion, le journaliste de La Petite Presse souligne la part importante prise par le Syndicat des Propriétaires dans l’aménagement et l’embellissement de Mers. Il attribue au Syndicat "l’honneur et l’initiative des élégantes constructions de ce coin délicieux du littoral de la Manche qui a nom Mers".


3] 

Dominique Morel - Décembre 2020 (précisions apportées en mai 2021)


[1] Stéphane Carrère, " Express-Portrait – H. O. Kratz ", La Petite Presse, 27 septembre 1905.
[2] 
Voir Philippe Levacher, " Euréka, les jouets de l’Andelle ", Association Histoire du Val de Pîtres, 1er juillet 2017.  https://histoireduvaldepitres.blogspot.com/2017/07/eureka-carabines-et-voitures-pour.html
[3] Voir Michel Bienvenu et Philippe Levacher, "L’affaire Kratz - Une poussée de xénophobie", Association Histoire du Val de Pîtres, 1er août 2017. L'affaire Kratz ~ A la recherche des temps perdus
[4] " Pendant la bataille de Verdun, le plan des Embochés ", L' Action française, 10 mars 1916.
[5] Identification proposée par Mme Françoise Mary : Amélie KRATZ, née le 12 mars 1894, ne sera reconnue par ses parents qu'en 1902
[6] Kratz-Boussac a acheté Les Tourelles (ou plus exactement le terrain sur lequel il fera construire Les Tourelles) à Madame Marie-Thérèse de La Bourdonnais, " Fille de Charité ", le 2 octobre 1897. Il a complété cette acquisition le 6 août 1902. Dans le titre de propriété, il est mentionné que le " surplus " a été acquis auprès de M. Albert Duval et de sa femme Mme Mathilde Becquet.
[7] Henri Kratz épouse en premières noces Marie Boussac. Celle-ci meurt à l'âge de 21 ans, le 8 mai 1894. Il se remarie avec Jeanne Junon le 15 septembre 1905. Je remercie Françoise Mary de m'avoir apporté ces précisions.
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