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09 Jun

Plaidoyer de 1856 pour la création de la ligne de chemin de fer de Beauvais au Tréport - partagé par Catherine Giner

Publié par Association des Propriétaires de Mers-les-Bains  - Catégories :  #Desserte ferroviaire

 

 

Plaidoyer pour la création de la ligne de chemin de fer de Beauvais au Tréport : "Parler du chemin de fer, n’est-ce pas traiter une question d’avenir ?" [Cordier-Joly]

Ce document d’une soixantaine de pages intitulé "Statistique pour l’établissement d’un chemin de fer de Beauvais au Tréport, le plus court de Paris à la mer et projet de communication directe sur Londres par Hastings", daté du 3 juin 1856, est rédigé par Cordier-Joly qui signe "commerçant à Blangy, membre du Conseil municipal". L’auteur se présente comme un "homme de progrès" qui souhaite "émettre librement ses vœux dans l’intérêt général", convaincu qu’"en première ligne et à la gloire du XIX siècle, sont les chemins de fer".

Cet enthousiaste défenseur du chemin de fer soutient la création de nouvelles voies ferrées qui selon lui, pourront concourir au rattrapage "d’un retard (économique) entre l’Angleterre et les Etats-Unis". Pour l’auteur, le projet de prolongement du tracé à partir de Creil, par la création des deux sections de Beauvais à Aumale, et celle de "la belle vallée de la Bresle si riche" "complètera la ligne importante de Rouen à Reims, et mettra en communication le Hâvre avec le Nord". La réalisation simultanée des lignes de Rouen et du Tréport qu’il appelle de ses vœux, parachèvera ainsi le réseau entre la Seine et la Somme, "de manière à donner satisfaction aux intérêts majeurs".

Mais, pour Cordier-Joly, le chemin de fer sert le développement économique local qui, en "circulant au milieu de toutes nos industries" et qui "en amènera de nouvelles, en permettant à celles existantes de se donner plus d’extension". Il assure également que la future ligne ferroviaire sera "une ligne internationale" favorisant les relations commerciales internationales. Elle permettra de relier Paris à Londres via Hasting en passant par le port du Tréport, "qui deviendra, tôt ou tard, l’intermédiaire naturel entre Paris et Londres", désormais "cette nation amie", offrant ainsi un port à Paris : "Paris deviendra port de mer et la rivale active de Londres".

Ultime argument en faveur du tracé Beauvais-Le Tréport, le trajet d’une durée de 4H30, peut être réduit "par la grande vitesse" à 3 heures tout en permettant "le chemin sur l’Angleterre". (cf. schéma du tracé de la ligne). La réalisation du chemin de fer accompagnera qui plus est, le développement du transport maritime entre la France et l’Angleterre, tout en activant la concurrence économique !

Le tracé Paris-Londres préconisé par Cordier-Joly incluant la liaison maritime

Ce plaidoyer en faveur de la ligne de chemin de fer de Beauvais au Tréport s’appuie avec force d’arguments chiffrés sur les productions locales agricoles, manufacturières, industrielles et les échanges commerciaux de l’ensemble des "localités intermédiaires" : Saint-Paul, la Chapelle, Gournay, Héricourt, Formerie, Aumale, Senarpont, Blangy, Gamaches, Eu et Tréport. Pour l’auteur, ces atouts économiques dits "d’importations et d’exportations" sont des déterminants qui suffisent à justifier le choix du tracé. En retour, le transport des marchandises par le chemin de fer amplifiera l’écoulement des produits, et en conséquence, il alimentera le développement économique des territoires traversés.

Ce document que l’on qualifierait aujourd’hui d’étude socio-économique se fiant à "l’éloquence des chiffres", vantant les forces et les ressources des territoires de Beauvais à Aumale, et de la Vallée de la Bresles, constitue un précieux témoignage de leur vitalité économique et socio-démographique en ce milieu du XIXe siècle. Au long des pages, l’auteur rend compte d’un paysage composé de localités dynamiques et attrayantes, aux activités et productions nombreuses et diversifiées : la culture des céréales (blé, avoine, orge), des graines oléagineuses et de la betterave, l’élevage (chevaux, porcs, moutons, vaches, volailles), le travail de boucherie, les marchés, les filatures de chanvre et de lin, la fabrication des beurres et du cidre, les cristalleries, les verreries, les fabriques de papiers et de cartons, les fonderies, les scieries mécaniques, les ateliers de machines, les ateliers de carrosserie, le charronnage, les brasseries, les distilleries d’eau de vie, le tissage mécanique de toiles marines, les entreprises de messagerie, l’industrie vitrique, l’industrie de la poterie en grès, l’optique de Picardie (lunettes et lorgnons), la grosse quincaillerie et des cylindres, la serrurerie picarde etc., sans compter les matières premières disponibles : le bois, la houille, la charbon, l’eau, les terres céramiques …

Aperçu des Importations-Exportations du Canton de Formerie

 

Et au terme du voyage "les falaises du Tréport"

Cordier-Joly évalue la possibilité de transport de marchandises de la ligne de chemin de fer Beauvais-Tréport à 200 000 tonnes, estimant le "revenu kilométrique" à hauteur de 20 000 francs, soit la rentabilité d’alors de la ligne de Dieppe. 

Au-delà de la circulation des flux de marchandises et de produits, l’auteur s’intéresse en un court chapitre au transport des voyageurs dont il note l’accroissement à la faveur des Bains de mer, considérant que "la vogue est plus aux bains de mer et l’on a raison". Il relève que "20 000 bains ont été pris dans la saison dernière et 18 000 auparavant", alors qu’ils atteignaient, à peine, le chiffre de 12 000 sous Louis Philippe, auquel Cordier-Joly reconnaît pourtant d’avoir contribué à leur développement.

"Des milliers d’étrangers, parisiens la plupart, recherchent le Tréport, et ce n’est pas la vogue ni le caprice qui les guide en ce choix, mais, outre un air salubre, l’affabilité des habitants, la bonne tenue des bains, et surtout leur proximité de la capitale, notre port offre une plage sûre, commode, agréable, telle enfin que, de l’avis des connaisseurs, il n’en existe point sur tout le littoral ».

L’attrait pour les bains du Tréport repose, pour Cordier-Joly, à la fois sur une bonne administration des bains qui bénéficient "d’améliorations et d’embellissement", mais aussi de la proximité de la ville d’Eu, avec ses hôtels et avec un omnibus pour la mer, ainsi que sur la valeur touristique des environs : "Parlerons-nous des sites pittoresques et variés, que les touristes ont déjà visité, d’autres ruines encore debout, s’étonnant des travaux du siècle, de superbes châteaux, jolies maisons de campagne et propriétés de plaisance, échelonnés sur notre passage".

Notons au passage, la justesse de la vision de Cordier-Joly dès 1856 lorsque constatant l’augmentation de la population du Tréport désormais à l’étroit sur son territoire, il signale qu’il "y a de quoi s’étendre jusqu’à Mers, et la vallée est grande : Eu, Le Tréport et Mers, par leurs accroissements et contiguïté, ne font plus qu’une même ville déjà peuplée de 10 000 habitants", soit les Trois Villes Sœurs !

Concluant sur les changements à venir, Cordier-Joly observe "qu’un chemin de fer excite à voyager ; que l’extension de l’industrie dans notre vallée, de la marine en son port, y vont attirer du monde".

A la fin de l’ouvrage, la liste nominative des 359 "souscripteurs", représentants du monde politique, économique, commercial, et de l’Eglise, des localités principales, futures gares du tracé projeté, atteste du soutien apporté à ce projet de création de la ligne Beauvais-Tréport. Cordier-Joly a présenté le 6 février 1856 ce projet "à l’assemblée des maires, industriels et commerçants, tenu en l’Hôtel de ville de Blangy" qui, il est précisé, a été adopté par les Conseils départementaux.

"Le triomphe des idées utiles n’est jamais qu’une question de date"  (1)

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Pour rappel la construction de la ligne Paris - Beauvais-Le Tréport Mers débute en 1873.

Nous remercions le Comité de Sauvegarde et de développement des lignes ferroviaires du Tréport-Mers pour avoir porté à notre connaissance ce témoignage historique qui rend compte des motivations économiques qui ont participé au tracé de ligne de chemin de fer Paris-Le Tréport-Mers-les-Bains. Le document original provenant de la collection de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) est accessible sur le site Gallica (gallica.bnf.fr).

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(1) Citation de Cordier-Joly, extrait de l’ouvrage de Benjamin Constant (1767-1830) Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Volumes 1 à 2 

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