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03 Jul

L'Affaire Dufour - épisode 1 : le triangle de la discorde

Publié par Association des Propriétaires de Mers-les-Bains

Cet été, Maïté partage avec nous ses recherches sur "l'Affaire Dufour" : une histoire à rebondissements qui aura duré plus de 10 ans et qui s'achèvera en 1885 avec la construction de la galerie commerciale de la rue Jules Barni.

 

Episode 1 : l'Affaire Dufour - le triangle de la discorde

 

Voici l’histoire de la « Maison Dufour », grande propriété ceinte de hauts murs située en bas de la rue de l’Eglise et qui surplombe la galerie commerciale de la rue Jules Barni.

Connaissez-vous le lien entre ces 2 constructions, la galerie commerciale et la maison Dufour et les rebondissements associés au terrain sur lequel la galerie commerciale a été construite ?

 

Revenons aux sources et découvrons à travers les archives cette « Affaire Dufour ».

 

Tout commence le 28 août 1859

M. Chevallier Narcisse Edouard, ancien notaire à Aumale, fait l’acquisition de :

Une propriété sise à Mers composée d’une maison d’habitation construite en briques et cailloux, couverte en ardoises, une maison d’habitation et diverses bâtiments couverts en chaume, murs, cours et jardins, séparés par des haies sèches, le tout contenant environs seize ares, tenant à la rue brulée, à Siméon Cointrel, à la route du fort et autres. Telle au surplus que cette propriété s’étend et comporter toutes ses circonstances et dépendances sans aucune exception ni réserve mais aussi sans aucune garantie de la mesure le plus ou le moins de contenance fut-il d’un vingtième et au-delà fera le profit ou la perte de l’acquéreur. [formalités hypothécaires d’Abbeville]

 

Sur cet extrait du cadastre napoléonien de 1825, on identifie la situation du terrain acquis par M. Chevallier (n° 237), l’église (en bleu), le calvaire (croix) et le petit sentier qui descend de la falaise vers le chemin (en pointillé) menant à la mer.

Extrait du plan du cadastre napoléonien 1825 (3P1422/4 Archives de la Somme en ligne)

 

Ce dessin anonyme ci-dessous permet d'identifier :

  • A droite de l’image, la propriété achetée par M. Chevallier, entourée d’une clôture qui semble être constituée des haies sèches,
  • A l’extérieur de la clôture, un petit sentier qui descend du côteau pour rejoindre le chemin menant à la mer,
  • En bas, le calvaire, connu comme la croix des matelots.
Dessin anonyme, vers 1860, Coll. P. Rault – Mers dans la Somme, Des flots de mémoire

 

Les délibérations du conseil municipal pendant les années 1860 montrent l’essor de Mers en tant que station de villégiature balnéaire. La question du bornage et de la vente des terrains communaux fait l’objet de nombreuses délibérations du Conseil Municipal.

 

Ainsi le 8 novembre 1860, le conseil municipal de la commune se réunit pour débattre des propositions faites par M. le Maire Jean-Baptiste Lebeuf, au sujet du bornage des terrains communaux.

 

M. le Maire expose aux conseillers que « …plusieurs demandes en cours sur des terrains vers le rivage de la mer lui ont été adressées par divers propriétaires, notamment par M. Jules Bocquet architecte à Paris et par M. Chevalier [sic] ancien notaire à Aumale, qu’il convient pour donner suite à ces demandes de déterminer les limites de propriété de la commune vers le rivage de la mer… ».

 

Après avoir donné la parole à Charles Lebeuf — qui venait de quitter ses fonctions de maire — le Conseil décide de ne pas accepter les propositions du maire actuel de travailler sur le bornage des terrains communaux.

 

En septembre 1863, M. Chevallier fait une seconde acquisition à Mers : il achète la propriété de Siméon Cointrel (n° 238 sur le cadastre ci-dessus de 1825). Cette acquisition ne semble pas avoir été transcrite dans les formalités hypothécaires d’Abbeville mais apparaît avoir été enregistrée à Aumale le 13 novembre 1863.

À cette occasion, le notaire note « certaines irrégularités » dans l’origine de cette propriété.

 

En 1866, le Conseil note « la difformité et l’irrégularité des rues de la commune par défaut d’alignement et de nivellement ». Il considère que les nombreuses constructions chaque année sont l’avenir du pays et qu’il faut investir pour faire respecter l’alignement des rues.

 

Lors de l’été 1869, le Conseil reçoit l’autorisation du préfet d’aliéner aux enchères publiques une parcelle de terrain sur la prairie des Mailleuls délimitée par la nouvelle rue de l’Avenir (actuelle rue Marcel Holleville). Le cahier des charges approuvé le 27 août 1869 précise que : « La commune de Mers est propriétaire du terrain à vendre depuis un grand nombre d’années » Puis le Conseil prend la décision de reporter la vente à la saison estivale suivante car la saison des bains est trop avancée et il faut compter sur « …le concours des étrangers qui sont les seules personnes sur lesquelles on compte principalement pour enchérir »

Les événements historiques de 1870-1871 font que ces ventes n’auront finalement lieu qu’à partir de 1874.

 

Mais venons-en à M. Dufour : il apparait dans l'histoire en septembre 1869, avec des exigences très particulières

 

En effet, le 16 septembre 1869 M. Chevallier vend pour 20 000 francs une partie de sa propriété de Mers à Marie Désiré Alexandre Dufour, propriétaire négociant à Amiens. La maison rue de l’Église souvent désignée comme « Maison Dufour » a été construite par M. Chevallier en 1868, juste avant sa vente qui comprend :

 

  1. une habitation avec écurie et remise, cour et jardin ; on accède à la propriété par la rue qui conduit à l’Église : elle est close de ce côté par un mur ; elle est close également par un mur sur le sentier qui descend de Mers à la mer, et aussi par un mur le long du chemin de Mers à la mer. La propriété vendue sera séparée d’un terrain qui reste appartenir aux vendeurs par une ligne droite tirée de la rue en suivant perpendiculairement le coin du pignon de l’écurie et de la remise jusqu’au chemin rendant à la mer.
  2. Un petit triangle de terrain se trouvant à l’extérieur des murs, à l’angle de la propriété cédée et à droite vers la mer. […]

 

 

Cette transcription mentionne très clairement le sentier qui descend de la falaise et le chemin de Mers à la mer, visible sur le plan cadastral de 1825 et sur le dessin de 1860.

 

Mais ce sera le petit triangle de terrain qui deviendra le triangle de la discorde.

 

M. Chevallier s’était réservé le bas du terrain longeant le chemin menant du village de Mers à la mer, mais selon des conditions très particulières imposées par M. Dufour :

 

3. Il est convenu d’une manière expresse entre les parties ce qui suit : Monsieur Dufour se clora vers le terrain réservé par les comparants, comme bon lui semblera, sans toutefois dépasser une hauteur de deux mètres. Monsieur Chevalier renonce pour lui et ses représentants et dans l’intérêt de la propriété vendue, à construire dans le bas du terrain par lui réservé au-delà d’une élévation supérieure au niveau du terrain du haut et dans la partie haute du terrain, au-delà d’une ligne tirée droite sur la maison vendue, mais bien entendu sans comprendre le balcon. De même, Monsieur Dufour, dans l’intérêt de la propriété restant à Monsieur Chevallier, renonce à construire au-delà de la ligne des bâtiments acquis ou en cas de construction en avant à ne pas dépasser le niveau du terrain du haut.

 

Cet écrit confirme que M. Dufour s'opposait à toutes constructions pouvant obstruer sa vue sur la mer.

 

Moins d’un an plus tard, le 12 avril 1870, M. Dufour achète la partie réservée par les époux Chevallier pour 5 000 francs. Cette acquisition consiste en « un terrain nu d’une propriété située à Mers…. Monsieur et Madame Chevallier entendent que, par suite de la vente constatée par le contrat du seize septembre mil huit cent soixante-neuf, et de celle résultant des présentes, leur propriété de Mers soit vendue à Monsieur Dufour tout entière, et sans en rien excepter ni réserve »

 

Voilà donc M. Dufour propriétaire de l'ensemble de la propriété Chevallier.

 

Mais d'autres critiques et exigences de M. Dufour émergent, à la lecture des délibérations du Conseil Municipal de l'époque.

 

Le 29 mai 1870, le conseil municipal se réunit pour approuver le plan des rues du nouveau quartier projeté des Mailleuls. Lors de cette séance, les membres du Conseil prirent note du plan et de la critique de M. Dufour, reçus après l’enquête, mais considèrent «d’ailleurs qu’il sera toujours possible de le modifier ultérieurement dans la partie critiquée » et, par ailleurs, le plan est adopté par tous les habitants de la commune. Ils observent « que le pays prenant une extension toujours croissante, les rues spacieuses seront indispensables à la circulation et à l’assainissement. »

En juillet de la même année, le Conseil répète les mêmes observations au sujet de M. Dufour et ses critiques concernant le plan des rues du nouveau quartier, notant que, pour l’instant, seule la rue de l’Avenir est adoptée.

 

Ces critiques répétées de M. Dufour portent-elles sur l'alignement de la rue Raspail, pour laisser à la maison Dufour une vue dégagée sur la mer ?... C'est fort probable bien qu'aucun écrit ne nous permette de le confirmer pour l'instant.

 

Le mois prochain, nous vous partegrons le feuilleton judiciaire entre M. Dufour et la commune de Mers, autour du terrain dit "le triangle de la discorde"

 

Plan du premier lotissement (AD Somme ; 99 O 2590)

 

A suivre ... 😀

 

© APRIM - juillet 2023

par Maïté Penna avec la complicité

de Séverine Choné pour la mise en forme

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